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2007-06-23

[NoG8] L'autonomie des fourmis

Suite à quelques discussions ces derniers jours sur l’efficacité des actions menées au contre-sommet d’Heiligendamm, sur la manière dont les médias mainstream (n’) en avaient (pas) parlé, et sur la manière dont “monsieur-et-madame-tout-le-monde” avait pu percevoir ce qui s’y est passé, je voudrais revenir sur quelques affirmations trouvées dans les médias dominants à propos du contre-sommet, et à partir de là revenir sur/développer certaines informations/questions. Je me base sur la lecture de journaux francophones (“Le Monde”, “Libération”, “Le Soir”, “Le Figaro”, “La Libre Belgique”; notons que ce ne sont pas censés être les “moins bons” journaux ou les plus réactionnaires, “Le Figaro” mis à part) ainsi que sur des traductions qui m’ont été faites de certains articles allemands. Pour ne pas caricaturer, je précise que certains journalistes se sont montrés plus critiques à l’égard du sommet officiel et plus attentifs au contre-sommet (1), et que certains médias ont parfois ouvert leurs pages à des tribunes donnant un point de vue différent (1). Mais il n’empêche que globalement la couverture du sommet était grandement uniformisée, par les dépêches d’agence de presse et par les formes/sujets habituellement imposés aux journalistes.

Du point de vue des médias dominants
Un premier point concerne la criminalisation du mouvement no-global et la mise en avant de la division au sein du mouvement. Lors de la manifestation du samedi 2 juin à Rostock, de violents affrontements ont eu lieu entre manifestants (black blocs en particulier) et policiers. Ces affrontements et leur condamnation par les porte-parole de certaines organisations ont été relayés par les agences de presse (1) et à partir de là par la totalité des médias mainstream (1, 2, 3, 4…). Ces violences ont constitué pour certains médias, la grille de lecture des événements du contre-sommet, un journaliste de la chaîne de télé NDR allant jusqu’à inventer des jets de cocktail molotov au très paisible et très pacifique blocage de la porte Est. Par rapport aux auteurs de violences, les très rares articles qui leur ont été consacrés (1) sont des modèles de désinformation et n’évoquent jamais les motivations des émeutiers (“ils viennent pour casser”, au mieux: “ils crient des slogans simplistes et chantent l’Internationale”).
Un autre point concerne la négation explicite par certains médias du caractère politique du contre-sommet et des actions qui y ont été menées, ça a notamment été le cas de “Das Bild” et du “Frankfurter Zeitung” (dans son édition du vendredi 8 juin), ce dernier organe expliquait que les altermondialistes étaient venus dans des camps semblables à ceux des festivals de musique pour jouer au chat et à la souris avec la police, et qu’il n’y avait là aucune motivation politique. On peut remarquer que certains récits/reportages factuels de médiactivistes sur les actions de blocage, pris isolément, ont pu laisser la même impression d’apolitisme à certains lecteurs (peut-être un peu naïfs). De manière plus générale, les articles d’actualité sur le contre-sommet n’ont que très rarement permis aux anti-G8 de développer un minimum leurs idées, les journalistes préférant largement les descriptions spectaculaires des extravagances des manifestants ou de l’action de Greenpeace.
Il y enfin la relative absence de compte rendu des résultats des actions blocages, au profit d’une peopolisation des participants au sommet (1) et d’une focalisation sur les passionnants marchandages politiciens et sur la très ambitieuse déclaration finale (“Nous nous engageons à envisager sérieusement l’objectif de réduire de 50% les émissions polluantes d’ici 2050” – 1, 2).
Je dis relative absence de compte-rendu sur les blocages car dans les 7 éditions papiers que j’ai eues en mains, il n’y avait qu’un petit entrefilet sur le sujet, ce qui m’a laissé penser à une occultation de ces actions. Mais en cherchant sur le oueb, j’ai trouvé une dizaine d’articles qui parlaient de ce sujet (1, 2, 3) pointant parfois explicitement l’ampleur inédite des blocages à un sommet du G8. Ces articles mettaient en avant les problèmes de déplacement pour les journalistes et les délégations et les retards que ça avait impliqué, les plaintes du syndicat de police sur leurs cadences infernales de travail, une visite annulée de l’épouse du 1e ministre japonais ou encore les critiques adressées aux policiers par les délégations (un canadien affirmant “la police allemande est en dessous de tout”).
Une division exagérée? Quelle violence…
Qu’en est-il de cette division du mouvement tant affichée dans les médias suite à la manif du 2 juin? Il semble impossible d’avoir des données globales objectives sur le sujet, mais il est indéniable que les porte-parole de certaines “grandes” organisations réformistes (notamment ATTAC) ont condamné les violences (j’utilise le terme “réformiste” sans connotation péjorative, pour désigner ceux qui espèrent arriver à réformer les institutions internationales existantes). Il est aussi indéniable que certains activistes pacifistes ont, dans des situations tendues, exigé des black blocs qu’ils ne fassent pas usage de la violence.
Mais on ne peut également nier, lors de la manifestation du 2 juin, la cohésion qu’il y avait entre black bloc et “simples” manifestants lors des incursions de la police dans l’espace du port où ils se trouvaient. On ne peut pas non plus nier, aussi bien dans les camps que dans les blocages, que le noir, les couvre-chefs et autres bandeaux pouvant servir de masque étaient très présents. D’un point de vue personnel, si j’ai rencontré 2 personnes qui critiquaient les stratégies des black blocs, l’immense majorité des gens rencontrés, qu’ils soient membres d’orgas comme ATTAC et le CADTM, du réseau indymedia ou de la fédération anarchiste, respectaient le choix fait par certains d’une contestation violente du système, voire le soutenaient. Peut-être tous ces gens avaient-ils en tête le dernier article de la déclaration des droits de l’homme de 1793:
“Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.”
Et que la réponse à la question “l’auto-proclamé gouvernement mondial qu’est le g8 viole-t-il les droits des peuples?” leur semblait évidente…
Quoi qu’il en soit c’est dur de savoir ce qu’il en est réellement des divisions dans le mouvement. Mais ce qui est sûr c’est que c’est la première fois depuis Gênes que des porte-parole d’organisations réformistes condamnent les violences lors d’un contre-sommet (j’entends “contre-sommet” dans un sens large: tout ce qui a été créé par les anti-g8, contre-sommet officiel, actions, activités des camps,…).
Il n’est pas inutile de préciser que ces condamnations ont pu être d’autant plus mal perçues par certains activistes que, lors d’une rencontre préparatoire au contre-sommet en avril, ATTAC et d’autres organisations réformistes (IG Metall notamment) avaient annoncé qu’elles soutiendraient toutes les formes d’actions contre le g8. Une autre raison est peut-être que, sans devoir soutenir les actions violentes, les porte-parole réformistes pouvaient envisager d’autres formes de distanciation:
“Les porte-parole réformistes font le calcul politique qu’il est plus avantageux pour eux de répéter ce que l’État veut qu’ils disent plutôt que de se déclarer solidaires de ceux et celles qui, dans la rue, se croyaient leurs alliés de lutte 33 . Les dirigeants réformistes ont pourtant d’autres options : ils pourraient se déclarer non-violents mais rappeler que les Black Blocs et leurs alliés font eux aussi partie du mouvement et que leurs actions ont un sens politique. Ils pourraient même " utiliser " les Black Blocs pour faire pression sur les représentants de l’État, en déclarant : " regardez, il y a dans la rue des gens très en colère et vous avez donc intérêt à négocier rapidement avec nous pour calmer le jeu “. Ils ont fait un tout autre choix, au risque de présenter une image tronquée du mouvement et d’encourager la violence et la répression policière. Alors que les réformistes s’inquiètent publiquement que les Black Blocs soient manipulés par la police, il semble que les réformistes se laissent eux aussi manipuler. Entre les actions des Black Blocs et les paroles des dirigeants réformistes, il n’est pas évident que ce soient les premières qui nuisent le plus au mouvement.” – in “Black blocs: bas les masques”
Dépassant la condamnation par plusieurs porte-parole réformistes des violences pendant la manifestation du 2 juin, Monty Schädel, un porte-parole d’ATTAC a dit dans une interview à la tv ZDF “qu´il allait dès à présent collaborer activement avec la police afin de dénoncer de potentiels criminels”. Cette information m’avait été rapportée par un membre d’ATTAC-Sarbrucke qui avait décidé en conséquence de démissionner de l’organisation, elle est confirmée par un communiqué (1) de plusieurs organisations participant au contre-sommet (notamment le camp de Reddelich, le Legal Team International, les réseaux No Border, No G8, the Voice Refugiers et d’autres). S’il semble encore possible de discuter avec des porte-parole ayant, dans un moment de tension et d’urgence, condamné les violences, une telle déclaration s’arrogeant le droit de dire qui peut faire partie du mouvement et surtout décidant de collaborer activement avec les forces répressives, est scandaleuse et tout simplement inacceptable. Il me semble qu’à défaut d’un communiqué clair d’ATTAC désavouant cette personne et ses propos (communiqué auquel il faudrait donner une publicité importante pour espérer réparer les dégâts d’une telle déclaration), la division du mouvement, que poussent nombre de médias dominants, risque fort de devenir bien réelle. (Notons ce communiqué d’ATTAC – 1 – qui, sans condamner les déclarations outrageantes de Monty Schädel, adopte une optique relativement “constructive”).
Réalité médiatique et zones autonomes temporaires
Nier le caractère politique des motivations des participants et de leurs actions est une “information” tellement aberrante qu’il n’y a même pas à revenir longuement sur les raisons pour lesquelles les gens étaient présents, sur les communiqués des participants, leurs slogans et banderoles ou sur la dimension politique des cibles de leurs actions (base militaire, publicité, camp de rétention, Shell, G8,…).
Par contre la vision tronquée d’un contre-sommet apolitique montre bien la liberté totale que certains médias dominants peuvent prendre vis-à-vis de la réalité, cela d’autant plus qu’il s’agissait pour les blocages d’actions pacifiques, colorées et spectaculaires, bref d’actions on ne peut plus “médiatiquement correctes”. Se pose alors la question de savoir quel pouvoir nous pouvons avoir sur ces désinformations. La réponse est simple: aucun. Quand bien même des gens motivés obtiendraient la publication d’un droit de réponse (ce qui est impossible à faire pour chaque article biaisé), ces droits de réponse n’ont jamais la même publicité que les articles mis en cause, en d’autres termes le mal est fait. Au-delà des médias ouvertement hostiles au mouvement no-global, certains activistes prennent en compte le point de vue de médias plus conciliants, plus ouverts au mouvement no-global. Or il ne faut pas oublier que tous les mass médias, quelle que soit leur ligne éditoriale/politique, appartiennent à des gens qui sont partie prenante du système économico-politique dominant, à des gens qui sont objectivement nos “ennemis”. Et l’on ne peut nier le fait que, lorsqu’un mouvement social ou intellectuel remettant radicalement en cause le système dominant atteint une certaine force, l’immense majorité des mass médias participe à sa délégitimation (les exemples plus ou moins récents les plus clairs sont probablement la campagne propagandiste des médias français pour le oui à la Constitution Européenne, et l’opposition des mass médias vénézueliens au président Chavez). Continuer à prendre en compte dans l’analyse de nos actions le point de vue des mass médias revient à donner un important pouvoir, de division, de délégitimation et de consensualisation du mouvement no-global, à des gens qui ne manqueront pas de l’utiliser dans les situations critiques.
Considérant ce point de vue, certains posent parfois la question: "devons-nous alors complètement renoncer à toucher “monsieur-et-madame-tout-le-monde”?". Dans un premier temps, il semble clair que “toucher” quelqu’un passe bien plus par une discussion ou une action, par un échange face-à-face que par l’ingurgitation passive d’un reportage de 1 minute ou d’un article de 300 mots. Ensuite on peut s’interroger sur l’utilité de dépenser du temps et de l’énergie à essayer de convaincre un cadre trentenaire, un.e adolescent.e fashion victim ou une mémé réactionnaire (exemples extrêmes) du bien fondé et de la nécessité d’une critique radicale du système dans lequel nous vivons. Soyons clairs, je suis loin d’être le dernier à mener des actions de sensibilisation dirigée “vers tout le monde” (que ce soit par la distribution de tracts dans la rue ou l’organisation d’actions sous diverses formes), et le travail “d’éducation populaire” mené par des organisations comme ATTAC et beaucoup d’autres est nécessaire et important. Mais il me semble que le point crucial où se jouent les transformations de notre monde est bien plus “l’activation” des 5% de gens déjà sensibilisés/conscientisés et la création d’un respect mutuel entre ces gens, que le fait de convaincre 51% des gens que “nous sommes dans le juste” (ce qui revient à intégrer la logique dite démocratique des oligarchies dans lesquelles nous vivons). Sans vouloir opposer deux tâches complémentaires (la sensibilisation du plus grand nombre et l’activation d’un petit nombre), il est clair que les changements sociétaux importants n’ont jamais été l’oeuvre de “la majorité”, mais bien plus celle de minorités critiques se mettant à agir ensemble.
Bref, revenons à cette grossière désinformation sur l’apolitisme des anti-g8 qui permet de faire un retour sur le mode d’organisation qui avait cours dans les camps et pendant les actions. Si les camps étaient des lieux où il y avait toujours moyen de faire la fête, de discuter, de boire (précisons que certains jours, à la veille de grandes actions, il n’y avait pas d’alcool en vente dans les camps), ils étaient surtout des lieux où les comportements racistes, sexistes et marchands étaient bannis, tout comme l’étaient les médias (sauf à avoir reçu l’autorisation à l’entrée du camp et à être accompagné). Des lieux où la confiance et la solidarité étaient la norme. Des lieux habités par une communauté d’êtres différents animés par un esprit de résistance, un esprit qui se manifestait à chaque arrivée de la police aux portes du camp, qui se manifestait dans les nombreux entraînements aux techniques de blocage ou dans les principes mêmes de cette communauté.
Concrètement, les camps étaient organisés en différents barrios (zapatiste, black, queer,…), à l’entrée de chaque camp se trouvaient des stands d’information sur le camp, sur la région, sur les actions prévues pour la journée et sur bien d’autres sujets. Chaque camp avait également une tente d’accès public à internet, et éventuellement une réservée aux médiactivistes, il y avait également plusieurs bars et un lieu avec un écran géant diffusant tantôt les infos de l’excellente g8-tv, tantôt des documentaires militants sur divers sujets. On pouvait trouver à manger en permanence, de la nourriture toujours végétarienne à prix libre (lors des grosses actions de blocage le ravitaillement des blockers était assuré à partir des camps).
Il faut aussi mentionner les permanentes discussions, assemblées et autres réunions de préparation d’action, dans les camps mais également sur les lieux des blocages de masse. Le fonctionnement de ces assemblées reposait en bonne partie sur la constitution en “groupes d’affinités”, groupes le plus souvent constitués par les participants avant même l’arrivée à Rostock. Les assemblées rassemblaient donc pour les débats des membres de différents groupes d’affinité, plus des électrons libres évidemment L’assemblée était soit arrêtée sur un consensus, auquel cas chacun retournait auprès de son groupe pour expliquer la décision, soit elle était arrêtée pour permettre aux participants d’aller discuter avec leurs groupes et de revenir ensuite avec la décision prise par le groupe. C’est notamment au sein de ces groupes d’affinité que s’organisaient, de manière complètement autonome, les actions décentralisées de construction de barricades ou de sittings, parfaitement complémentaires avec les blocages de masse. Au final, ce mode d’organisation essayait de tendre, autant que possible, vers une structure horizontale, égalitaire et sans hiérarchie.
Bien sûr, tout ne fût pas parfait, certains organisateurs se sont plaints que les gens ne participaient pas assez à l’auto-gestion des camps. Et il arrivait que les jeux de pouvoir reviennent: je l’ai notamment constaté lors d’une assemblée au blocage Est mercredi, pendant laquelle une activiste de Block-g8 monopolisait la parole en intervenant entre chaque prise de parole d’un participant, et essayait d’exclure certaines questions de la discussion (à savoir, le départ d’une part des blockers vers une autre porte ou directement dans la zone rouge). Il n’empêche que les blocages et les camps, dans une moindre mesure vu leur côté "d’espace “concédé” à la liberté", ont pu faire penser à des “zones autonomes temporaires” constituées de “bandes”…
“La TAZ (Temporary Autonomous Zone), ou Zone Autonome Temporaire, ne se définit pas. Des “Utopies pirates” du XVIIIe au réseau planétaire du XXIe siècle, elle se manifeste à qui sait la voir, “apparaissant-disparaissant” pour mieux échapper aux Arpenteurs de l’Etat. Elle occupe provisoirement un territoire, dans l’espace, le temps ou l’imaginaire, et se dissout dès lors qu’il est répertorié. La TAZ fuit les TAZs affichées, les espaces “concédés” à la liberté : elle prend d’assaut, et retourne à l’invisible. Elle est une “insurrection” hors le Temps et l’Histoire, une tactique de la disparition. (…) La TAZ occupe un lieu temporaire, mais actuel dans le temps et dans l’espace. Toutefois, elle doit être aussi clairement “localisée” sur le Web, qui est d’une nature différente, virtuel et non actuel, instantané et non immédiat. (…) Mais la TAZ ne se soucie guère du “a été” ou du “sera”. Elle s’intéresse aux résultats – raids réussis sur la réalité consensuelle, échappées vers une vie plus intense et plus abondante. (…) La TAZ doit être la scène de notre autonomie présente, mais elle ne peut exister qu’à la condition que nous nous reconnaissions déjà comme des êtres libres. (…) En fin de compte, la TAZ est quasiment auto-explicite. Si l’expression devenait courante, elle serait comprise sans difficulté… comprise dans l’action." – in “TAZ – Zone Autonome Temporaire”
Blocages, symbolique
Durant le contre-sommet, nous nous posions régulièrement des questions sur l’effectivité des blocages auxquels nous participions, que ce soient les blocages de masse (1, 2) ou les blocages/barricades plus autonomes/décentralisés (1, 2). Mis à part lorsque nous nous connections au fil info du réseau indymedia (1), nous avions assez peu d’informations crédibles sur la situation globale aux portes de la zone rouge. Et surtout, quand même on nous annonçait que tous les accès terrestres à la zone rouge étaient bloqués (comme c’est arrivé mercredi au moins), nous ignorions les effets réels que nos blocages avaient sur le déroulement du g8.
Sur cette question de l’effet de nos actions, une première remarque pourrait concerner le peu d’infrastructures et d’encadrement humain nécessaire à un G8, on peut se demander quel aurait été l’impact effectif de nos blocages sur un sommet de l’OMC devant réunir plusieurs centaines de délégués et nécessitant des centaines d’interprètes et autres larbins…?
Une deuxième remarque pourrait concerner l’attitude de certains (rares) activistes qui, cherchant sans doute à paraître le plus radical possible, dénoncent les actions de blocage comme n’étant que des jeux de scout n’ayant eu aucun effet politique réel.
Il faut accorder à ces activistes qu’il y avait une dimension ludique dans les actions menées pendant le g8: longues “randonnées” à travers champs et bois, sittings bon enfants, déguisements, etc. Mais parler de “jeu scout” revient à faire exactement le travail de la presse mainstream qui discrédite le mouvement en niant son caractère politique. Ces actions étaient bien un jeu mais un jeu où, face au plus grand dispositif policier et répressif depuis la 2e guerre mondiale en Allemagne (17.000 policiers, 1.200 soldats, des dizaines d’hélicoptères, d’autopompes, un mur de 12km, … pour un montant de plus de 100.000.000 d’euros – 1.200 arrestations sur la semaine), nous avons démontré notre nombre, notre volonté et notre organisation, nous avons démontré qu’à défaut de s’exiler dans des îles ou des déserts perdus, les puissants de ce monde trouveront toujours en face d’eux (fût-ce en semaine en période d’examens) des multitudes créatives prêtes à “partir à l’assaut du ciel”. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est déjà beaucoup.
Je pense qu’on doit aussi accorder à ces activistes critiques que les blocages n’ont eu aucun “effet politique réel”. Mais ces actions ont eu des effets symboliques importants, non seulement en tournant en dérision le dispositif policier, en montrant notre force, mais aussi en reprenant le droit fondamental que les autorités voulaient nous enlever: celui de manifester dans un périmètre de 12km autour de la zone rouge (là même où nous étions en permanence).
Et puis le succès des actions de blocage nous a permis de nous rencontrer, d’échanger pendant les longues heures où nous faisions face à la zone interdite et aux policiers, cela nous a permis de prendre conscience de notre puissance commune. Tout cela, bien qu’étant “symbolique” ou en tout cas sans “effets politiques réels”, ne me semble pas négligeable.
Soyons clairs, je regrette réellement que les blocages de masse n’aient pas déboucher sur des tentatives de pénétration dans la zone rouge, alors qu’à certains (rares) moments le rapport de force était clairement en faveur des manifestants. Une incursion massive dans la zone rouge aurait certainement pu permettre d’interrompre le sommet, et c’est d’ailleurs probablement le seul moyen d’interrompre un sommet ne réunissant “officiellement” que 8 personnes.
Mais il faut aussi se rendre compte qu’une interruption du sommet ne serait elle-même qu’une victoire symbolique, cela n’empêcherait pas les gens de mourir de faim, les guerres d’avoir lieu, l’écosystème de disparaître et les droits sociaux de reculer (là où il y en a). Espérer qu’une interruption du g8 sous la pression des manifestants ait des effets politiques réels relève à mon sens de l’attente du Grand Soir et des inévitables déceptions que cette attente suscite. Une interruption du g8 participerait probablement à sa délégitimation (comme on peut penser que ce fut le cas pour l’OMC et Seattle). Et encore…? Une interruption de ce type et les violences inévitables qu’elle entraînerait (pour entrer dans la zone rouge ou de la part de la police à l’intérieur de cette zone) pourrait tout simplement décider le g8 à se réunir au bout du monde et être utilisée par les médias dominants pour décrédibiliser ces hordes d’altermondialistes violents incapables de proposer une alternative (comme c’est déjà parfois le cas: 1).
Car c’est là un autre point, que pouvons-nous proposer? Je ne suis pas un de ces intellectuels qui participent à l’important travail de déconstruction des logiques néo-libérales et à la construction des alternatives théoriques, mais je crois savoir que les principales propositions tournent autour d’une réforme de l’ONU et du retour dans le giron de cette ONU réformée de plusieurs institutions internationales (Banque Mondiale, FMI,…). Je respecte sincèrement ce travail intellectuel, mais je dois avouer que je suis sceptique sur nos capacités réelles à pousser ce genre de réformes “positives” (constatons par contre un certain nombre de victoires “d’opposition”: 1), et que je suis surtout sceptique sur les possibilités de transformation de la politique économique dominante qu’aurait ce genre de réformes des institutions internationales. Finalement, ce que nous pouvons proposer de mieux, ce sont probablement nos vies, nos combats et nos envies.
C’est peut-être pour cela que la perspective d’une réelle interruption d’un sommet demeure enthousiasmante, pour la démonstration du nombre de petites fourmis que nous sommes à travailler localement à la transformation de nos mondes, et pour la prise de conscience des possibles que nous avons ensemble…
Rendez-vous en Italie en 2009.. Et à bien d’autres endroits d’ici-là… :)

[http://liege.indymedia.org/news/2007/06/16928.php]