2009-05-17 

Strasbourg emporte l’OTAN

Le sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Strasbourg et à Baden Baden a connu une vive mobilisation et une spectaculaire contestation. Le contre sommet qui s’y est déroulé n’aura pas surpris grand monde sur le fond, si ce n’est que malgré la répression croissante depuis une dizaine d’année, les contre sommets des puissants de ce monde continuent d’être des rendez-vous de plus en plus massivement confrontatistes avec les forces de polices. Mais le fait important qui aura marqué la mobilisation de Strasbourg aura surtout été la volonté délibérée de l’Etat Français de non plus réprimer massivement la contestation qui déborde mais de criminaliser l’ensemble du mouvement, quelques soient les modes d’actions adoptés et l’attitude plus ou moins complaisante avec le pouvoir. Ce en quoi les évènements de Strasbourg feront date, c’est l’officialisation par l’Etat Français, qu’en temps de crise, « celui qui n’est pas avec lui est contre lui ».

Bild: Broschüre

Le bilan officiel du sommet de l’OTAN est bien maigre

D’un côté, l’annonce « cadeau » de la France de Sarkozy à l’Amérique d’Obama de la réintégration française dans le commandement de l’OTAN devait ouvrir de nouvelles perspectives militaires. Mais, le sommet a essentiellement porté sur la nomination du premier ministre danois en exercice, Anders Fogh Rasmussen à la tête de l’Otan. L’annonce d’un renfort de 5000 militaires en Afghanistan (dont 150 gendarmes « formateurs » français) ne conforte que le conflit que l’OTAN a provoqué. Le projet politique de cette guerre reste flou ; même si la proximité géographique de la Chine, de la Russie, de l’Inde et du Pakistan ne peut cacher les enjeux idéologiques et stratégiques qui s’y jouent. D’un autre côté, les questions qui devaient susciter des polémiques, notamment avec la Russie ont soigneusement été évitées. Il n’a donc pas été abordé (officiellement) ni l’entrée de la Géorgie ni l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. Comme nous l’écrivions précédemment *, en temps de crise, les capitalistes se serrent les coudes avant de se faire des guerres pour relancer leur économie.
Mais on peut aussi imaginer, qu’en cette période de tension sociale mondiale croissante, les annonces arrogantes des guerres à mener ne soient pas dans les plans de communication des dirigeants du monde, qui notamment pour le président étasunien, entend bien surfer sur sa vague médiatique favorable afin de faire le sale boulot. Et puis aussi, pourquoi ne pas en parler, la mobilisation très visible des opposantEs à l’OTAN et à son monde ne permettait pas non plus que le petit repas entre affameurs et bombardiers du monde ne puisse se dérouler de manière sereine : la aussi les plans de communications n’ont pas réponse à tout. Ce sommet aura donc été un échec complet en terme d’officialisation des politiques militaires à entreprendre. Mais à n’en pas douter, ils ne se sont pas contentés de gérer un planning de circonstance. Les mois qui viendront nous diront malheureusement bien plus sur les visées de l’OTAN que la « com » qui en a été faite à la sortie du sommet de Strasbourg.
Aussi il apparaît bien plus intéressant de se pencher sur la mobilisation à Strasbourg et à Baden Baden car pour le coup, on parle de notre côté, de la grogne, du mouvement, de la contestation, des expériences menées…

Le village autogéré

Le village a essentiellement été mis en place depuis Strasbourg par la Coordination Anti Otan, qui devait permettre à la fois un regroupement des libertaires, mais surtout des individus qui avaient envie de prendre des initiatives en dehors des jeux d’appareil politiciens. Cette coordination aurait pu faciliter l’auto-organisation de projets multiples et divers, notamment pour faire fonctionner et enrichir le projet du village, mais il n’en n’a rien été. Cadenassé par les groupes locaux d’organisations politiques (Fédération Anarchiste et No Pasaran), refusant pendant des mois de s’ouvrir autrement qu’à des logiques d’appareil, d’organisation ou de boutique, la coordination a fait preuve d’un tel immobilisme que, comme le dit la chanson, « ce fut reculer que d’être stationnaire ».
Le village fut « négocié » au final, avec beaucoup de complaisance (pour des révolutionnaires) avec la préfecture. Si bien que celle-ci n’accorda que ce qu’elle voulut bien donner, sans qu’aucun rapport de force concret ne puisse être mise en place et ne puisse inverser le cours des choses et ainsi les miettes que le colosse voulait bien accorder. Un moment, nous avons même craint que la préfecture de l’Etat français veuille revenir sur le « pacte d’intérêt » qui nous liait (pour eux, concentré dans un lieu, nous étions « endigués », pour nous, nous pouvions mobiliser). Sans aucun rapport de force, nous étions à leur gré et nous pouvions nous retrouver tout nus à tout instant. Des listes de lieux vides sur la ville heureusement circulèrent alors, comme une ultime menace au cas où… La préfecture recula un peu et accorda finalement lors des dernières négociations entre deux couloirs que le village pourra commencer à s’installer. Cela fut le cas mais sous un contrôle policier aussi régulier qu’arrogant (voir chronologie).
La mise en place du village fut essentiellement prise en charge par des groupes venus d’Allemagne et par des militants du réseau Dissent. La Coordination Anti-Otan s’auto désintégra avant que l’événement ne commençe, reflétant ainsi son aspect coquille vide que certains avaient voulu cacher si longtemps. Celles et ceux qui étaient arrivés à constituer des commissions, faisaient vivre ces structures (Medical Team et Légal Team). Les militants de No Pasaran s’engouffraient dans un centre de convergence qu’ils avaient estampillé des sceaux de leur organisation. La salle Molodoï était ainsi devenu de toute évidence le lieu de No Pasaran, avant d’être un centre de convergence du contre sommet, avec en première place, le stand « boutique », ses tee-shirt, pins etc. Ce lieu n’était donc que si peu un centre de convergence que le jeudi soir 2 avril, alors que plusieurs centaines de personnes étaient arrêtées et qu’au compte goutte celles et ceux qui sortaient du commissariat se dirigeaient vers le centre de convergence, ils trouvaient porte close. Normal, les heures d’ouverture de la boutique étaient achevées ! Dans le registre « nous ne dirons pas que du bien de nos amis anars », précisons quand même que le groupe de Strasbourg de la Fédération Anarchiste, après s’être octroyé des lauriers avant même la bataille en faisant apparaître très clairement sur leur site internet qu’il « était à l’initiative de la coordination anti-otan » (merci pour les autres !), avait décidé un mois avant le sommet de se retirer de « tout » ! Personne ne les vit donc, les mains dans le moindre cambouis, si ce n’est à coller les affiches de leur propre officine tandis que les autres militants peinaient à jongler entre les initiatives à prendre et les affiches de la coordination à coller. Ce qui suscita un commentaire sur la liste interne de la préparation : La FA qui colle « ses » affiches et No Pasaran qui organise « son » centre de convergence : on reconnaît clairement les organisations politiques qui se servent du mouvement et celles qui servent le mouvement…
Le village se bâtit donc essentiellement avec l’expérience et les fonds récoltés lors du contre sommet du G8 à Helligendam. La gestions de ces fonds fut assez surprenante et donc âprement discutée. Ainsi le capital de départ « investi » devait être au minimum reconstitué. En gros, l’argent devait faire de l’argent, et la logique mercantile accompagner l’organisation du village. Concrètement le débat fut de savoir si on investissait dans l’achat massif de bière, afin d’en vendre un maximum et ainsi renflouer la cagnotte ou si dans la carence évidente de l’organisation du village, on privilégiait les formes politiques qui elles aussi nécessitaient du fric. Derrière ce débat, il y aurait beaucoup de choses intéressantes qui pourraient être dites (logique d’événement, concentration des pouvoirs, mode de décision de la structuration…) qui révèlent en elle même une somme de critiques que l’on peut faire sur la logique des contre sommets.
Et puis, durant la petite semaine, ce qui fut nouveau dans ce « village » fut les comportements politiques des uns et des autres. La forme du camp n’est en soit pas nouvelle. Prague, Evian, Helligendam et surtout les campements Noborder ont allègrement structuré les mobilisations autour d’un lieu de campement. Ce qui fut nouveau à Strasbourg, et qui n’est pas très réjouissant pour l’avenir fut le fossé immense entre (pour faire vite) les hippies et les paranos. Les hippies étant celles et ceux qui étaient venus avant tout pour la fête (concerts, rencontres, bédos…) dont certainEs ne quittèrent même pas le village pour les manifs. Les paranos étant celles et ceux qui complètement cloisonnéEs dans leur « groupe d’affinité » refusaient tout contact avec l’extérieur, ne participant en rien à ce qui pouvait être discuté avec des gens qu’ils et elles ne connaissaient pas. Ainsi, alors que les autres campements avaient permis de mener des actions collectives, décidées ensemble, à Strasbourg cela fut peu le cas, et quand cela le fut, ce fut laborieux, difficile et pas aussi efficace que cela aurait pu l’être (ex : action sur le pont de l’Europe lors du refus de passage des camions de légumes). Ce clivage peut être expliqué par le manque de structuration collective initié lors de la préparation comme les campements noborder avaient pu l’initier : le village découpé en « barrios » (quartiers) quotidiennement se réunissent et envoient des mandatés à une assemblée générale « interbarrios » qui gèrent et facilite la gestion collective du village. Mais ces comportements sont aussi les conséquences de choix initié lors de la préparation (volonté qu’il y ait un maximum de monde) et de notre période (mythe insurrectionaliste qui veut que l’insurrection qui viendrait soit la réponse à tout).
Ainsi le bilan du village est assez contrasté. Il a permis à chacunE qui voulut venir de trouver un endroit pour mettre ses guêtres. Il a été un lieu central de la contestation. Mais beaucoup trop central, car encadré en permanence par la police, il fut surveillé et toutes les personnes s’y rendant (même les habitantEs du quartier voisin) furent fichées. Ce fichage général et la facilitation que le village permit devra dans les initiatives prochaines interroger les formes de structuration de celles et ceux qui voudront organiser des contre-sommets.

Les blocages

La presque exclusivité des blocages du sommet de l’OTAN à Strasbourg furent initiés et organisés par un collectif européen « Bloc Nato ». La logique de ces blocages est assez connue lors des contre-sommet puisque c’est cette méthode qui fut mise en place à Seattle en 99 lors du sommet du FMI et qui reste une référence. Le problème est qu’à cette époque l’effet de surprise permit de faire beaucoup de choses alors que maintenant c’est plus la stratégie des flics qui est l’effet de surprise !
Dans les diverses réunions de préparation, il apparut assez rapidement qu’il n’y aurait pas assez d’engouement pour effectuer les nombreux points de blocages qui permettraient efficacement de peser sur le déroulement du sommet même. Un millier de personnes s’y essayèrent donc mais les effets furent très négligeables. C’est que ce regroupement s’appuie sur l’alliance de groupes non-violents et de groupes confrontatistes. Les non-violents voulaient s’approcher au plus près des lieux du sommet et ainsi récupérer une visibilité médiatique et voulaient que les groupes confrontatistes qui participaient à l’organisation « occupent » la police en marge. Cette méthode a fonctionné lors de certains sommets. Mais à Strasbourg, les confrontatistes au dernier moment ne jouèrent pas cette partition et la plupart préférèrent rejoindre le lieu de la manifestation du samedi après-midi plutôt que de servir d’appât à certaines têtes médiatiques qui n’apportent pas toujours la reconnaissance de la technique de la diversité d’action. Si bien que celles et ceux qui s’engouffrèrent au petit matin pour former des points de blocages se jetèrent dans la bouche grande ouverte du lion et eurent ainsi le peu d’efficacité, si ce n’est symbolique, qu’ils et elles étaient venus chercher.

La manifestation du samedi

La manifestation du samedi après-midi à Strasbourg devait être l’événement du contre-sommet. Pour cela, ce fut un rendez-vous réussi ! Le parcours fut négocié par l’ICC (Centre de Coordination Internationale) qui regroupent les classiques organisations de gauche et d’extrême gauche. Leur volonté fut de pouvoir défiler dans Strasbourg, ce que le pouvoir leur refusa jusqu’au bout. Ils et elles pensèrent le jour de la manifestation pouvoir imposer un parcours, comme cela se fait souvent dans les grandes capitales quand les représentantEs se présentent comme étant les interlocuteurs des dizaines de milliers de personnes qui se trouvent derrière elle. Elles firent donc ce jour là une énorme erreur politique…
Depuis novembre 2001, lors d’une réunion des polices qui avaient dû faire face aux contre-sommets de l’époque, à Rotterdam, les représentants de ces polices décidèrent pour endiguer ces manifestations de n’autoriser que des parcours dans les quartiers populaires (afin que s’il avait de la casse, cela soit politiquement facilement condamnable) et deuxièmement que lors de la dispersion, la manifestation soit dans une zone « déserte » afin de graduellement réprimer celles et ceux qui tarderaient à se disperser. De mémoire, Bruxelles, Evian ou Helligendam furent pensés sur ce schéma. A Strasbourg, la tactique est montée d’un cran, puisque la manifestation ne put jamais réellement partir et que le quartier du Port du Rhin, qui est la proie d’un gigantesque plan de restructuration immobilier, fut une zone de paint ball pour la police. Les habitantEs ont ainsi été considéréEs comme une population de valeur négligeable.
L’enjeu politique n’était plus de réprimer les confrontatistes, mais plus comme à Gènes, lors du contre sommet du G8, (la violence du corps à corps en moins) de terroriser une manifestation dans son ensemble, de la criminaliser, d’intimider pour les rassemblements prochains, bref de dresser. Aussi, ces organisations politiques qui disent n’avoir rien vu venir et qui s’en prennent pour certaines aux confrontatistes comme ayant été les éléments déclenchants de cette répression, se trompent énormément. Ils et elles se trompent évidemment politiquement d’ennemiEs. Ils et elles sont à côté de la plaque dans l’analyse de notre période et dans la réaction des gestionnaires de cet ordre mondial immonde. Enfin, ils et elles se trompent sur le terrain, puisque lors des attaques et des harcèlement répétés de la police, c’est bien la défense de la manifestation qui a empêché à la police de provoquer les bavures indéniables qui auraient pu se passer. Aussi dans les débats qui ont suivi, dans le flot des analyses, nous retiendrons cette dame venu manifester et qui affirmait que la fois prochaine elle « se mettrait derrière les lanceurs de cailloux qui ont été les seuls à la protéger et à lui permettre de manifester »…
De plus, les casses qui ont eu lieu de la part de manifestantEs, ont toutes été des casses politiques : douane, caméra de surveillance, banque et hôtel du groupe Accord (le groupe Accord collabore à l’expulsion des sans-papiers en mettant à disposition ses chambres ; les femmes de ménages de ce groupe, dont une partie étaient sans-papier, ont mené une lutte exemplaire face à une direction qui s’est comportée comme des esclavagistes. Enfin le même hôtel, pour les mêmes raisons, avait déjà été saccagé en 2002 lors du campement Noborder à Strasbourg. Le feu qui pris forme ensuite, avec des habitations à côté nécessite beaucoup plus de prudence, étant donné le déroulement des faits. D’ailleurs aucun groupe ne l’a revendiqué).
Que les journaux (du torchon local, les Dernières Nouvelles d’Alsace à L’Humanité) aient fait la une le lundi, jour des comparutions en justice des quelques lampistes à qui l’Etat Français voulut faire porter le chapeau, sur les « casseurs » révèle la propagande d’Etat. Les DNA mettaient à la une, la pharmacie, qui prit feu parce que la banque qui se situait à côté ne fut jamais éteinte, comme une démonstration que ce qui fut attaqué l’aurait été de manière gratuite. Ce jour là, rien n’était gratuit. Ni les flash ball de la police ni la radicalité de l’expression de la colère.

Ce que nous pouvons penser des contre sommet : La répression

Les trois quarts des flics de France étaient ce week-end là à Strasbourg. On peut se demander alors pourquoi ne pas en avoir profité pour faire des choses ailleurs ! De plus, le rendez-vous de Strasbourg était du point de vue de la répression un traquenard. En effet, la presque totalité des BAC (Brigade Anti-Criminalité) était dans la capitale alsacienne. Il avait certainement été prévu que la manifestation soit attaquée à un moment par l’impressionnante mobilisation de flics en civil, où chaque BAC de chaque ville avait ses « agitéEs » à aller chercher. Mais vu le nombre impressionnant de confrontatistes et de personnes qui soutenaient la confrontation qui étaient présentEs dans la manifestation (et pas uniquement celles et ceux qui étaient habillés en noir), ils n’ont ni pu ni voulu y aller. Par contre le fichage systématique et global auquel il fut procédé pendant la petite semaine doit nous amener à réfléchir et à agir face à cela. On a ainsi pu constater lors des procès des lampistes qui étaient trainés devant la justice dans les jours qui ont suivi que les procureurs n’hésitaient pas à annoncer que telle personne était connue des services de police, non pas au vu d’une condamnation quelconque (la presque totalité des interpellés a des casiers judiciaires vierges) mais des fichages qui ont été procédés lors de rassemblements précédents. Et comme pratiquement tous les manifestantEs de Strasbourg ont été fichés à un moment ou l’autre, on voit très bien le mécanisme de criminalisation du mouvement social qui se met en marche : fiché à une manif, trainé devant les tribunaux à la suivante !
Mais au final, les 23 procès tenus contre des participants aux manifestations et les 10 personnes (de trop) en taule encore aujourd’hui sont relativement faibles en rapport à ce que l’Etat français aurait voulu faire. En cause, certainement l’improvisation arrogante de la police française dans son manque de collaboration avec la police allemande qui s’est même étalé dans les journaux locaux avant le sommet. Quand on connaît l’histoire alsacienne et la prétention jacobine française à gérer cela mieux que l’Allemagne, on a soudain souri en Alsace car cela nous renvoyait à des discours que l’on n’avait plus l’habitude d’entendre. Idem quand on a perçu le discours très parisien de Sarkozy sur « les casseurs allemands venu détruire à Strasbourg les symboles de la république » (sic). De plus de nombreuses procédures judiciaires ont été abandonnées car, faites à la va-vite et bâclées, elles auraient certainement permis aux avocatEs de la Légal Team, en plus de pouvoir défendre au mieux les prévenus, de montrer le caractère complètement improvisé et arbitraire de la répression.

On s’est connu, on s’est reconnu

Le contre sommet de Strasbourg fut comme tous les contre sommets un moment privilégié de rencontre politique, entre militantEs, mais pas uniquement. La première notion qui nous a toutes et tous traversé pendant cette période a été le plaisir que nous avons partagé. Certes la température et le soleil estival ont beaucoup ajouté à cela, mais il est ressorti chez de nombreux participantEs que les notions d’efficacité et d’expérience nous avaient rendu plus fortEs, là où la répression d’Etat devait nous fragiliser. Il semble (il faudrait pour cela voir les conséquences dans les luttes à venir) que des personnes se soient mieux connues, des réseaux aient pu faire des choses ensemble et que les expériences entamées pourraient donner lieu à des bilans constructifs pour que ce qui se soit passé à Strasbourg ne représente pas un modèle mais un ensemble d’outils à réutiliser et à réadapter ailleurs, localement.
Très clairement, certaines organisations politiques on montré le visage tranquille de l’anarchisme, toujours prompt à parler des luttes radicales du passé comme un bel exemple mais incapable de prendre pied avec ses références-là dans le présent. A tergiverser et à ne rien oser, il y a ainsi une forme très insipide d’un militantisme d’aujourd’hui. Ainsi par exemple Alternative Libertaire avait un pied dans la Coordination Anti-Otan (dit les « radicaux ») et un pied dans l’ICC (dit les modérés »). Dans de telles organisations, le militantisme se vit avant tout dans un imaginaire libertaire que de tels événements remettent (et c’est tant mieux) au juste niveau que l’imaginaire ne fait pas la réalité : l’histoire s’écrit au présent ! D’un autre côté, celles et ceux qui théorisent tellement l’insurrection comme une fin en soi, ont montré que question grands discours, ils et elles peuvent occuper la place, mais question « équipement » de l’insurrection, celles et ceux qui avaient fait commande, attendent toujours !
Les actions qui ont le mieux fonctionné ont été celles qui ont été dans l’action du moment, entre le pragmatisme et la sérénité du socle qui nous a mené là où nous étions. Ce que nous avons partagé avec beaucoup de personnes fera certainement de notre vie de militant des références.
Ainsi, nous avons constaté que quand des caméras de surveillance étaient hors d’usage dans les quartiers, cela favorisait d’autres formes d’actions, avec une peur en moins. L’absence complet de délation de la part des habitantEs est un échec patent du pouvoir en ces temps où il cherche absolument à accentuer la forme du contrôle promu par le citoyennisme. Du côté de la population strasbourgeoise (et Strasbourg n’est pas une ville historique de lutte !), l’ambiance était différente de celles de certaines organisations politiques qui ont tenté d’aider la police et la répression (voir encadré). Du côté de la population, on a vu souvent les portes s’ouvrir pour les manifestantEs et se refermer pour la police. Quand on parle de plaisir, c’est que cela a été vécu ! Du point de vue local Quelque part, la stratégie du pouvoir d’avoir créé des zones de conflits dans des zones populaires en privilégiant la sécurité à outrance des zones « chics » a échoué. Malgré la propagande locale sur « la casse », la population du port du Rhin ne s’est pas trompé d’ennemis en accusant les autorités locales et nationales de l’avoir sacrifiée. Quelques jours plus tard, quand une partie de la population manifesta sa colère, elle était clairement destinée aux autorités et il n’y a bien que les torchons locaux pour tenter la grande pirouette de vouloir monter les victimes de ce monde de merde les unes contres les autres. Dans les alentours du village, dans le quartier de la Ganzau, où la police usa sans discernement de gaz et bombes assourdissantes, la population a très clairement exprimé à l’adjoint au maire (très justement chahuté), venu tenir une conférence pour se justifier, que le problème fut celui du comportement de la police et non des « villageois ». Car évidemment si la police ne fut pas là, il n’y aurait eu aucun problème ! Dans le quartier populaire du Neuhof, ce fut un constat de chacunE que les petites pressions locales de la police de « très grande proximité » avaient disparu pendant un temps ; le problème c’est que cette police s’est bien rattrapée dans les jours qui ont suivi… Un autre phénomène local qui mérite d’être souligné est l’implication du mouvement des étudiantEs et des enseignantEs chercheurs dans cette petite semaine. De telles jonctions et de tels moments vont laisser de bonnes traces et de bonnes expériences !
Par contre, au niveau des réseaux militants, au vu de ce qui a été écrit ici, il est évident que l’on en sort avec beaucoup d’amertume. Alors que, dans ce genre de préparation les liens se ressoudent, que le fait de faire ensemble de la politique rapproche les conceptions et que d’avoir un objectif commun permette de s’écouter en dehors des rancunes partisanes préétablies, à Strasbourg, cloisonnée par des pratiques de clans et de bandes, matérialisée par des esprits de boutique exclusivement en concurrence permanente avec le goût démesuré pour les accroches « très personnelles », les réseaux militants sortent du contre sommet aigris, surtout quand ils pensent que les réseaux de lutte sont avant tout des regroupements de chapelles. Quand à nous, nous avons déjà fait fi de cette aigreur et avons préféré y voir la chaleur des rapports de lutte avec ceux et celles avec qui nous avons milité. C’est en cela aussi que la militance rend plus claires les choses et plus évident ce qui est possible et ce qui l’est moins.
Car la question de Strasbourg et de l’OTAN pourrait ressurgir dans les mois ou les années qui viennent. Certaines tractations et certaines visites précédant le sommet du 60e anniversaire laissaient présager qu’en coulisse des projets se dessinaient : Strasbourg abandonnerait le parlement européen et récupèrerait en échange le siège de l’OTAN, Bruxelles abandonnant l’un et récupérant l’autre. L’occupation militaire vécue à Strasbourg le temps d’une petite semaine pourrait ainsi devenir permanente. Strasbourg aurait plus qu’emporté l’OTAN, elle l’aurait remporté … à suivre évidement.

Commission Journal de Strasbourg -
26 avril 09